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IN-UTILE - Cie de la Mentira / Léonardo Montecchia

Dernière mise à jour : 19 mars 2021

Lundi 22 octobre 2018

Rendez-vous à l’arrêt de tramway B Montaigne-Montesquieu

Cie La Mentira - Léonardo Monteccia - Le geste in-utile


Arrivé au lieu de rendez-vous : arrêt de tramway Montaigne - Montesquieu, je retrouve les quatre danseurs habillés en tenue d’hommes et femmes d’affaires. Après avoir réuni les gens venus les voir, ils nous demandent de les suivre dans le hall administratif de l’université Bordeaux Montaigne.

Léonardo Monteccia nous explique rapidement le processus de création de ce parcours chorégraphique. Nous allons traverser plusieurs gestes universitaires : le geste administratif, le geste étudiant, le geste chercheur enfin le geste enseignant. Puis il dit : « Ce qui ressort lorsque qu’on demande à des chercheurs ce qu’est le geste inutile : c’est brasser de l’air ».

Deux des danseurs commencent à s’agiter, illustrant à travers le corps ce que peut être de brasser de l’air. L’air semble si fort qu’on ne sait plus bien qui brasse qui lorsque les corps se renversent et déforme la chorégraphie répétée en boucle. Puis ça s’arrête.

« Veuillez nous suivre »


Nous suivons. Les danseurs s’installent sur les marches extérieures du bâtiment de l’amphi 700 comme sur une estrade. Ils nous rappellent de nous approcher, de manière très naturelle et volontaire. Les quelques étudiants assis pour manger s’éloigne un petit peu de la scène et observent en continuant leur repas. Il est 12h30 et c’est le geste administratif.

La musique se lance, c’est le tic-tac d’une horloge, le métronome qui rythme la vie administrative. Ça commence par des petits gestes répétitifs, qui embarquent la voix. Les nombreuses abréviations universitaires sont énumérées, parfois j'en connais la signification, parfois non. Dialogue absurde et scandé. Tout s’enchaîne, les gestes, le tic-tac. « Dossiers » on reconnaît le glissement des doigts sur un tiroir de dossiers. Seul à son bureau imaginaire ou tous ensemble, en décalé ou en quinconces, les chorégraphies syncopées ne s’arrêtent plus. Puis, comme un « ça suffit, je n’en peux plus », une des danseuses annoncent « PAUSE » suivi de sa partenaire. Elles viennent dans le public et observent. Les deux hommes, comme débarrassés de la contrainte du groupe se lancent dans un duo des « dessous du bureau ». Ils chantent, déconnent, rigolent. Lorsque les dames reviennent, le tic-tac bas la mesure de nouveau et tous les quatre reviennent à leur routine de dossier-abréviations-syncopé. Mais la pause n’a pas été assez longue et elles repartent, cette fois-ci beaucoup plus loin, en direction de la BU - Bibliothèque Universitaire.

Dans cette partie, j’ai particulièrement observé les étudiants qui, surpris dans leur quotidien, tombent sur les danseurs et font marche-arrière. Qu’est-ce qu’une représentation en extérieur sans cette relation avec la réalité quotidienne ?



C’est d’ailleurs à la BU que cette confrontation sera la plus prenante. Ici, vêtu d’une robe de papier, la danseuse, avec lenteur et grâce traverse l’espace, entre chaises, tables et regards d’étudiants ahuris, surpris, rieurs, exaspérés, ou même sans aucun intérêt pour la chose. En tout cas, on sent que l’énergie change. Les habitudes sont bousculées et il ne s’agit plus d’un espace de travail mais un espace de représentation.

On se retrouve au fond de la bibliothèque, les étudiants, voyant arriver l’étrange, remballent leurs affaires le plus vite possible. On retrouve les quatre danseurs, chacun s’affairant à une tâche différente : une enchevêtrée dans les câbles d’ordinateurs, un empileur de livres, un travailleur convulsé - étrangeté quotidienne, puis la mariée de papier qui arrive lentement et enlève avec douceur son vêtement.

Dans une bibliothèque, comme dans un lieu sacrée, on chuchote. Les danseurs se mettent alors à dire très bas : « l’utilité de l’inutile et l’inutilité de l’utile » devant des étudiants qui semblent justement en train de se poser la question de l’utilité alors interrompus dans leur travail.

Puis, après avoir fait un boucan de chuchotement en exagérant leurs gestuelles, les artistes s’en vont, un par un, revenant à la normal. Jusqu’au dernier qui, après avoir empilé tous les livres, jonché sur la table passe les livres un par un devant ses yeux. Trop proche pour être lu, il continu de chuchoter. « Il y a des gens qui passent leur vie à chercher l’utile : c’est inutile » en déposant les livres sur sa tête, les yeux fermés.

Posé avec justesse, ces mots résonnes comme des paroles d’enfants : « A quoi ça sert? ». A la fin, je me questionne sur cette notion d’utilité, je replonge dans mon passé d’étudiant, décontextualisant sans cesse l’utilité des choses, c’est ce qui me rend vivant, encore aujourd’hui.


Nous continuons notre parcours dans un couloir de l’université Montesquieu, à l’étage des chercheurs pour arpenter leurs geste. Leonardo Monteccia nous dit qu’il n’y a pas de geste propre au chercheur, tout dépend de son sujet, elle est peut être sous des formes très différentes. Ils ont donc choisi d’établir une une recherche du / sur le geste.

Beaucoup plus abstrait, ce tableau montre des danseurs dans plusieurs situations. En solo. Rapidité, lenteur, contact. Cela ressemble plus à une recherche de danseur qu’à une recherche sur le geste à proprement dit. Heureusement, un « vrai » chercheur ouvre la porte de son bureau et, dans une démarche à la fois stricte et assuré traverse à plusieurs reprise l’espace. « Ils font de la danse ». Sa non porosité à la proposition l’intègre au processus et donne du relief à la scène, selon moi, un peu moins efficace.

Les danseurs récupèrent leurs affaires, se rhabillent et prennent chacun un livre rouge : L’utilité de l’inutile, manifeste de Nuccio Ordine. Sur le trajet vers la prochaine station, ils nous lisent des extraits du livre qui sonnent comme des déclamations de poésie a qui veut bien l’entendre. Petit moment croustillant, nous croisons de nouveau le chercheur rigide, à croire qu’il fait réellement partie du spectacle !


Dernière étape de cette déambulation dansée à l’université : le fameux amphithéâtre avec le geste de l’enseignant. Dans cette partie, nous sommes disposés sur les gradins tandis qu’un solo de la danseuse/enseignante nous fait face sur l’estrade. « Ca fait longtemps que je ne me suis pas retrouvée dans un amphi » s’amuse ma voisine. On y a tous pensé, on sourit. Des gestes adressées aux étudiants, des gestes automatiques d’explications, d’affirmations, des geste vers le tableau,… puis la machinerie se dévoile : une vidéo aux teintes orangées s’allume dans laquelle on peut apercevoir les geste des professeurs que la soliste accentue, amplifie, exagère et répète longuement. Elle monte sur le bureau, elle descend devant, retourne vers le tableau. Elle utilise tout l’espace scénique du professeur. Puis une musique (il y avait des paroles d’enseignants jusque là, pas vraiment compréhensibles en fond sonore), Tina Turner - Proud Mary. La danseuse vient sur les marches de l’amphi. Plus rien ne l’arrête, elle continue son show. Oui, nous avons bien là un professeur, un enseignant qui endosse son rôle et qui, pendant son heure de cours, doit faire ce qui s’apparenterait à un véritable spectacle afin de tenir la concentration des étudiants.


Avec son In-utile, Léonardo Monteccia dé-range le campus. Il bouscule les habitudes et nous apporte une vision globale des différentes fonctions de l’université. Les réflexions s’enchaînent avec simplicité et amusement. Les danseurs sont présents et heureux, ça se voit et ça se transmet. A la fin, Léonardo nous dit qu’il a déjà fait cette intervention durant un cours magistral avec la complicité de l’enseignant. C’est alors qu’une frustration - déjà un petit peu présente - se fait sentir… Nous ne sommes même pas une trentaine de personnes à avoir suivi cette intervention. In-utile n’est pas un spectacle dans son sens classique. Ce sont des impromptus, des « commandos »,… C’est de cette manière qu’elle touche et qu’elle prend du sens pour un spectateur non-préparé. Toujours le paradoxe du spectacle qui se questionne sur sa forme et qui rend la proposition, certes divertissante et sympathique, mais moins politiquement incorrecte et engagée.


Clément Muratet

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